mardi 18 mai 2010

A propos de la méthode intuitive de Ferdinand Buisson :

A propos de la méthode intuitive de Ferdinand Buisson :
Intuitif versus Rationnel
Enseignement implicite versus Enseignement explicite


Il est fort probable qu’une forme essentielle de l’ossification de la pensée est l’incapacité à penser les liens entres des phénomènes qui s’opposent. Hu Wu signalait en 1999 dans son article Basic Skills versus conceptual understanding : A Bogus Dichotomy in Mathematics Education combien la dégradation de l’enseignement était pensée au travers de fausses oppositions en prenant comme premier exemple celui de la lecture dans lequel on oppose le sens et le déchiffrage.
Ici, on donnera quelques éléments sur la manière dont on oppose formellement l’intuitif et le rationnel et surtout l’enseignement explicite et l’enseignement implicite, l’enseignement explicite étant même devenu le nom d’une école pédagogique.
En effet le danger principal que l’on trouve dans le mouvement républicain est la condamnation de la méthode intuitive de Ferdinand Buisson au prétexte qu’elle serait pédagogiste, ce qui a été affirmé tout autant par Marc le Bris que par Bernard Appy, ce qui ne pourra amener ce courant de pensée qu’à des formes de transmission les plus mécanistes qui soient.

13 mai 2010
Michel Delord

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Quelques remarques qui ont pour but de montrer qu’il ne faut pas traiter unilatéralement la question de l’intuition et de la méthode intuitive, c'est-à-dire qu’il faut savoir comprendre son lien avec l’abstraction, l’enseignement explicite/implicite, l’induction/déduction …. , remarques qui n’ont même pas l’ambition de donner une vision exhaustive des divers angles sous lesquels on peut l’aborder :

1- L’abstraction comme passage de l’intuitif au rationnel


Le problème est bien entendu le passage de l’intuition à la rationalité, qui est aussi l’abstraction entendue non pas simplement comme un état -ce qu’elle est aussi - mais comme le processus qui permet ce passage. Ce processus consiste à ne pas s’intéresser à toutes les propriétés de l’objet considéré et donc à en oublier une partie pour n’en prendre en compte que certains qui correspondent à l’objectif que l’on se fixe ; par exemple, dans le cas du bœuf, l’abstraction sera différente si l’on s’intéresse aux caractéristiques du bœuf dans la classification des animaux ou du point de vue culinaire. Dans le second cas, par exemple on ne s’intéresse pas au sabot de la bête tandis qu’il a une certaine importance dans la classification animale.

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2- Intuitif / rationnel :

On a donc à traiter le problème du rapport entre l’intuitif et le rationnel. Ce qui est surtout décrit habituellement est ce qui fait passer des parties de la connaissance de l’intuitif au rationnel et son inverse. Savoir ses tables par cœur les fait ainsi passer dans le domaine de la « connaissance directe, immédiate de la vérité, sans recours au raisonnement ». Ici l’on peut dire que le rationnel ( le résultat de l’explication de la table de multiplication) est intégré dans l’automatisé qui se comporte bien alors comme « l’intuitif » au sens de« Connaissance directe, immédiate de la table, sans recours au raisonnement ».

On parle beaucoup moins de cas fructueux dans lesquels il y a un antagonisme recherché entre l’intuitif et le rationnel et c’est notamment le cas du travail d’axiomatisation de la géométrie fait par Hilbert qui cherche explicitement à se débarrasser de l’intuitif de manière à ce que, dans les renoncés géométriques, « Les éléments, tels un point, une droite et un plan, peuvent être substitués par un verre de bière, une chaise et une table, par exemple. Il faut plutôt se concentrer sur leurs relations » .

Et c’est justement dans le domaine mathématique car il travaille sur les objets censés être les plus purs que l’on peut le mieux voir le chemin qui va de l’intuitif à l’abstrait ou plus exactement des divers niveaux d’intuitif vers les divers niveau d’abstrait.

Le penseur qui a probablement à la fois été le premier à en saisir l’importance et à en donner une explication accessible au non mathématicien - bien que cela demande un petit effort en ce cas - est Ferdinand Gonseth qui trait cette question en s’intéressant aux notions de nombres et d’éléments simples de la géométrie.

Il y a depuis 2002 deux extraits de Gonseth disponibles sur mon site, indispensables à connaître et à méditer si l’on veut parler de manière sérieuse de l’abstrait et du concret , de l’intuition, etc.

Ferdinand Gonseth, Les Mathématiques et la réalité : Essai sur la méthode axiomatique ,1936 .

a) Chapitre IV : le double visage de l’abstrait ( sur la géométrie)
http://michel.delord.free.fr/gonsethg.pdf.
b) Chapitre VI : la nature du nombre entier
http://michel.delord.free.fr/gonsethn.pdf


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3- Enseignement explicite / implicite

Il faudrait également évoquer une autre opposition que j’avais introduite à propos de l’enseignement du français qui est l’opposition explicite / implicite : on n’a pas, comme le fait de manière mécaniste la troisième voie, à s’opposer à l’enseignement implicite au nom de l’enseignement explicite mais au contraire à comprendre le lien entre les deux.

Enseignement explicite ou implicite d’une notion en grammaire ?.

Il faut distinguer deux choses : le fait qu’une notion soit au programme - qui signifie un enseignement explicite de cette notion - et le fait qu’elle soit utilisée - sans être nommée - à un niveau donné. Cette distinction n’est possible que si l’analyse grammaticale et l’analyse logique sont au programme puisque, si ce n’est pas le cas, les notions grammaticales « enseignées » ne sont plus là que pour « favoriser la compréhension des textes », ce qui est effectivement le but de l’enseignement mais qui, formulé ainsi surtout dans le contexte actuel, signifie que la grammaire n’aurait pas de valeur en elle-même en n’étant considérée que comme un outil (de plus au mauvais sens du terme).
Prenons comme exemple les notions de sujet / groupe sujet :
D’abord – et dés la maternelle - on peut, à propos de « Un lapin mange une carotte dans le jardin» poser la question « Qui mange une carotte dans le jardin ? » et l’élève peut répondre « Un lapin » sans que le mot sujet ne soit employé. On peut même subodorer qu’aucun élève ne répondra simplement « lapin » à cette question, c'est-à-dire qu’il répondra en fait par le groupe sujet sans que le mot groupe-sujet soit prononcé et sans qu’il soit au programme. Ensuite, si la phrase est « Un lapin blanc mange une carotte dans le jardin », si on pose la question « Qui mange une carotte dans le jardin ? », la réponse peut être : « Un lapin blanc » sans que la notion de groupe-sujet soit au programme.
Par contre, si la notion de groupe-sujet n’est pas au programme, on peut demander l’analyse grammaticale de lapin mais pas celle de « Un lapin blanc ».

In Michel Delord, Quelques remarques sur la grammaire … principalement, 2 septembre 2008
http://michel.delord.free.fr/remarques-grammaire_sept2008.pdf


Et il convient de plus d’insister sur un point : il y a des cas où tenter de rendre explicite un enseignement implicite est une faute : lorsque l’on enseigne que 2 m + 3 m = 5 m au début du primaire, il n’y a aucun intérêt, loin de là, à faire remarquer qu’il s’agit d’une écriture disons algébrique. Et René Thom avait justement de bonnes raisons, qu’il faudrait développer dans un texte sur l’intuition, de faire remarquer qu’il peut même être néfaste de faire passer l’implicite vers l’explicite :

Les psychopédagogues , conscients du vague de leur position doctrinale, ont cru trouver dans les affirmations des logiciens et des mathématiciens formalistes la clé de leurs difficultés. Puisqu'il s'avérait que la démarche de la pensée mathématique se trouvait modelée par ces grands schémas formels que sont les structures ensemblistes et logiques , structures algébriques, structures topologiques, il suffirait d'enseigner à l'enfant, à un âge assez tendre, la définition et l'usage de ces structures, pour lui rendre l'accès aux théories mathématiques contemporaines infiniment plus aisé.

Cet argument mérite une discussion serrée; sous son apparence convaincante, c'est en fait une erreur psychologique de base qui vicie de fond en comble la tentative moderniste. II importe en effet de voir que la plupart de ces grandes structures abstraites : théorie des ensembles, calcul booléen, structures topologiques, sont d'ores et déjà présentes, sous forme implicite, dans le psychisme enfantin lorsqu'on les propose dans l'enseignement sous leur forme explicite. (Pour les structures algébriques, il y a lieu de nuancer : certaines, comme celle de groupe, existent implicitement ; celles d'anneaux et de corps sont beaucoup plus artificielles. Tout l'argument moderniste repose en définitive sur le postulat suivant : En rendant conscients, explicites, les mécanismes implicites de la pensée, on facilite ces mécanismes.

Or on soulève là un grand problème de la psycho-pédagogie, qui n'est nullement particulier aux mathématiques. On. le rencontre, par exemple, dans l'enseignement des langues vivantes : faut-il enseigner une langue à l'élève de manière livresque et explicite, en lui inculquant la grammaire et le vocabulaire de cette langue ? Ou faut-il au contraire lui enseigner, directement la langue par l'usage, comme l'apprendrait naturellement un enfant étranger plongé dans cette communauté linguistique ? La réponse n'est pas facile, mais, du point de vue de l'efficacité, la méthode directe est très souvent préférable.

Dans le développement de l'enfant, au premier âge, la connaissance explicite et déductive ne joue absolument aucun rôle; pour apprendre à marcher, il serait plus nuisible qu'utile de connaître l'anatomie de la jambe : et avoir étudié la physiologie du système digestif n'est d'aucun secours pour digérer un repas trop lourd. Sans doute m'objectera- t-on qu'il s'agit là d'exemples très primitifs, sans rien de commun avec cette activité suprêmement rationnelle qu'est la pensée mathématique. Mais ce serait oublier que la raison, elle-même, a chez l'homme des racines biologiques, et que la pensée mathématique est issue du besoin de l'esprit de simuler la réalité externe. Nous reviendrons sur ce point plus tard. Un autre exemple, assez typique, de transfert de l'implicite vers l'explicite nous est donné par la psychanalyse, qui a voulu faire de ce passage de l'inconscient au conscient l'outil essentiel de la clinique. Or en ce cas, les résultats, dans la cure des troubles mentaux, se sont révélés — semble-t-il — assez décevants. Ce n'est pas de connaître la théorie freudienne du lapsus qui vous empêchera de commettre, l'occasion, des lapsus « freudiens ».

De plus, ce transfert de l'implicite vers l'explicite, souvent inutile, peut être néfaste. Parfois l'élève ne peut pas faire le joint entre une activité mentale déjà présente dans son esprit et la description symbolique abstraite qu'on lui en offre (particulièrement si cette présentation est imprégnée d'esprit formaliste) ; en ce cas, cet enseignement restera pour lui lettre morte. Parfois, l'enfant soupçonne le joint, sans arriver à le concevoir clairement. En ce cas, la connaissance explicite de la définition formelle de l'activité peut perturber cette activité, qui fonctionnait fort efficacement jusque-là sans théorie : à la manière de ces individus scrupuleux qui hésitent à parler une langue parce qu'ils en connaissent trop bien la grammaire et ont peur de commettre des fautes.


René Thom, Mathématiques modernes et mathématiques de toujours,
in " Pourquoi la Mathématique?" Edition 10/18 ( 1974)
http://michel.delord.free.fr/thom74.pdf

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4- Répétition aggravée au XXéme siécle de la dégénérescence formaliste du début du XXI éme


Un autre point rend important la référence à Ferdinand Buisson : dans une conférence sur la méthode intuitive de 1873, Rapport sur l'Instruction Primaire à l'Exposition de Vienne (qui n’est pas l’article tiré du DP) , Ferdinand Buisson décrit la dégénérescence formaliste de la notion de méthode intuitive. Or il s‘agit d’un des seuls textes du passé qui donne des clés d’interprétation [et je ne m’en suis pas privé !!!] de la dégénérescence formaliste qui s’est traduite, à partir des années 50 du XXème siécle, par l’importation dans l’enseignement élémentaire de concepts de l’enseignement supérieur des mathématiques et de la linguistique.



23 janvier 2010
Michel Delord

Version pdf http://michel.delord.free.fr/2010-01-23-rq-intuition.pdf

12 commentaires:

  1. Bonjour,

    En vous lisant, j'ai repensé à ce qui m'est arrivé au début des années 70. J'avais 12 ans et mes parents eurent l'idée de me mettre au piano. Je veux dire qu'ils m'ont inscrit à l'Académie de musique. Je n'avais rien contre, l'idée de pouvoir jouer de cet instrument me plaisait beaucoup. J'ai alors réussi la première année, j'ai doublé la deuxième, je l'ai recommencée, puis au bout de trois ans, dégoûté, j'ai abandonné.
    Quel rapport avec vos écrits ? C'est simple, c'est que dans ces années-là, il fallait réussir les deux premières années de solfège avant de toucher un piano. Ce n'est donc pas l'étude de cet instrument qui m'a dégoûté mais l'étude du solfège. Or pour moi, l'analogie avec les mathématiques enseignées à la même époque -et qui perdurent aujourd'hui- est évidente : son esprit (son génie) n'y est pas, et son étude ne contente plus que ceux qui ont un ordinateur à la place du cœur.
    Toutefois, à propos justement des mathématiques, et puisque nous avons Internet, il est à remarquer qu'il n'est pas nécessaire d'avoir l'approbation de qui que ce soit pour mettre un cours de mathématiques en ligne (alors qu'il est nécessaire d'obtenir le consensus pour changer un iota du programme scolaire).
    « Ce n'est pas barbara et baralipton qui forment le raisonnement » disait Blaise Pascal. Mais il semble bien pourtant que les mathématiciens s'en soient donnés à cœur joie dans le « barbara et baralipton ». Ce faisant, ils ont tendu le bâton pour mieux ce faire battre. Dès lors, pourquoi ne pas réécrire les mathématiques dans une logique et une axiomatique de la simplicité ? Qu'y aurait-il là de si extraordinaire ? (sauf le temps à y consacrer évidemment :-))
    Rudy

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  2. Bonjour,

    Vous avez écrit : « la condamnation de la méthode intuitive de Ferdinand Buisson (...) ne pourra amener (...) que des formes de transmission les plus mécanistes qui soient ».

    Or il n'est pas nécessaire de prendre des exemples dans les hautes sphères mathématiques pour corroborer ces propos. Ainsi que doit-on penser de l'apprentissage de l'addition et de la multiplication dans nos écoles ? Se servir de ses doigts pour additionner et multiplier, n'est-ce pas là déjà quelque chose de terriblement « mécanistique » ? D'ailleurs certains pédagogues français, justement contemporains de Ferdinand Buisson, s'en sont émus. Et ceux-là ont proposé des méthodes plus conformes à l'esprit de l'enfant. Ainsi par exemple, ont-ils remarqué que ledit esprit était plus analogique que logique. D'où des méthodes qui permirent une vraie participation intellectuelle de l'enfant, donc une vraie évolution intellectuelle de celui-ci.
    Rudy

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  3. A Rudy
    "Quel rapport avec vos écrits ? C'est simple, c'est que dans ces années-là, il fallait réussir les deux premières années de solfège avant de toucher un piano. Ce n'est donc pas l'étude de cet instrument qui m'a dégoûté mais l'étude du solfège."

    Je comprends tout à fait.

    " Or pour moi, l'analogie avec les mathématiques enseignées à la même époque -et qui perdurent aujourd'hui- est évidente : son esprit (son génie) n'y est pas, et son étude ne contente plus que ceux qui ont un ordinateur à la place du cœur."

    Effectivement la tendance "mécanistique" était déjà forte avant 70 mais elle l'est devenue encore plus après.

    Je vous cite ce que disait en février 74 Jean Dieudonné, donc un des plus fervents partisans des maths modernes :
    "On pourrait presque croire que dans l'enseignement secondaire, il y a une impulsion innée à tout transformer en scolastique, au plus mauvais sens du mot. Beaucoup de mathématiciens et de scientifiques sont véritablement atterrés lorsqu'ils voient que l'ancienne scolastique, qu'ils avaient acceptée comme un fait inéluctable et qu'ils avaient appris à tolérer, était remplacée par une forme encore plus agressive et stupide placée sous la bannière du "modernisme"."

    Vous dites aussi :
    "Se servir de ses doigts pour additionner et multiplier, n'est-ce pas là déjà quelque chose de terriblement « mécanistique » ? D'ailleurs certains pédagogues français, justement contemporains de Ferdinand Buisson, s'en sont émus"

    Je ne vois pas à quoi vous faites allusion .
    De mon point de vue,
    1-Au tout début de l’enseignement le fait de compter sur ses doigts - comme sur des bûchettes- est indispensable pour la compréhension même de ce qu’est l’ensemble « Numération/Calcul » mais ce mode de calcul doit être abandonné pour laisser sa place au calcul mental et au calcul écrit qui sont bien plus puissants, chacun dans leurs domaines que le calcul digital entendu en ce sens.
    2-D’autre part , il existe des modes « supérieurs » de calcul sur les doigts , c'est-à-dire pas comme des bûchettes, qui sont intéressants également. J’en donne un exemple dans « Tables de multiplication jusqu’à 20 × 20 »* et la justification de la Méthode B ( début du complément d’avril 2006) n’est pas inintéressante à mon avis
    Mais expliquez moi ce que vous voulez dire : je n’ai pas compris.

    Vous dites aussi : « axiomatique de la simplicité ? Qu'y aurait-il là de si extraordinaire ? (sauf le temps à y consacrer évidemment :-)) Rudy »

    Je ne comprends pas bien ce que vous appelez « axiomatique de la simplicité » mais je comprends ce que veut dire « prendre du temps ».

    Je suis à la retraite depuis l’an dernier , j’ai donc 38 ans de cours et d’exercices non publiés et je vais commencer à les publier sur ce blog et sur http://michel.delord.free.fr/cours-math.html


    Bonne soirée

    MD

    * http://michel.delord.free.fr/tables-mult20.pdf

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  4. Bonjour,
    Avant tout, je tiens à vous dire tout le plaisir que j'ai eu à vous lire. Je veux bien sûr parler de ce qui est sur ce blog, mais aussi de tout ce qui est sur votre site. Je devine que ça n'a pas dû être facile tous les jours de tenir de tels propos. Et vous avez d'autant plus de mérite que vous avez écrit cela en étant à l'intérieur du système. Bravo donc et merci.
    Je m'intéresse à votre méthode de multiplication et à ce propos vous aurez mon avis et ma façon de voir d'ici peu.
    J'attends avec impatience la publication de vos exercices.

    A bientôt

    Rudy

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  5. "Je devine que ça n'a pas dû être facile tous les jours de tenir de tels propos. Et vous avez d'autant plus de mérite que vous avez écrit cela en étant à l'intérieur du système. Bravo donc et merci.
    Rudy"

    Merci
    Une petite réponse à :
    http://michel.delord.free.fr/incidents.html

    MD

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  6. En effet, ce ne fut pas toujours facile.
    En tout cas, chez moi, cela soulève une foule d'interrogations.
    Par exemple, n'a-t-on pas un peu oublié la notion de « vocation » ?
    A propos de la formation des enseignants, comment vérifie-t-on le taux d'empathie qu'aura le futur professeur pour ses élèves ? Eh quoi, cette « capacité de se mettre à la place de l'autre et de ressentir ses sentiments et ses émotions » n'aurait-elle pas sa place dans le métier de professeur ?
    Et puis, au fait, le fameux « effort universitaire » et le sentiment d'empathie sont-ils tout bonnement compatibles ?
    N'ai-je pas entendu un Doyen d'Université (Mr Ringlet Louvain-La-Neuve) déclarer : « ce qui m'interpelle c'est que beaucoup d'élèves qui sont à l'Université ne devraient pas y être et que beaucoup qui n'y sont pas, devraient y être » . Voilà qui laisse songeur sur la sélection des élites :-)

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  7. Bonjour,

    Après avoir lu un de vos articles où vous parliez de Gauss enfant et de son calcul rapide de 1 + 2 + 3 + ... +100 , je me suis souvenu avoir réagi sur un forum de mathématiques au message suivant :

    ... ... je pensais à l'histoire du petit Gauss:
    "Gauss était un génie particulièrement précoce : à 5 ans, le maître demandait de calculer 1+2+...+100, et Gauss inscrivit immédiatement le résultat sur son ardoise : ce n'est pas qu'il fut un génial calculateur, mais il avait trouvé une formule générale pour calculer de telles sommes."
    [D'après sa biographie.]

    (Fin du message).

    Et voici la réponse que j'ai faite.


    Bonjour,

    Gauss n’a certainement pas trouvé à cinq ans « une formule générale pour trouver de telles sommes ». A bien y réfléchir, astucieux et enthousiaste comme il l’était, il a dû « voir » que 1 et 100, 2 et 99, 3 et 98 …donnait toujours 101 et ce jusque 50 et 51, la solution était donc 50 fois 101.
    A cet âge là et jusqu’à au moins l’âge de 10 ans, c’est plutôt au « cas par cas » qu’il réglait les problèmes, avec déjà sans doute un esprit inventif sans pareil. De plus, contrairement à ce que semblerait dire ce biographe, notre mathématicien posséda précocement une disposition prodigieuse pour le calcul mental. Ainsi, un jour, à peine âgé de trois ans, il corrigea son père qui remplissait la feuille de paye de ses ouvriers. Après vérification, le compte (mental) de l’enfant était le compte juste.
    De plus, je ne suis pas sûr de l’anecdote racontée plus haut. Par contre, on sait que Gauss lui-même racontait qu’à l’âge de DIX ans il étonna son instituteur pour avoir résolu très rapidement (en inscrivant la réponse sur son ardoise une heure avant les autres élèves) le problème suivant : 81297+81495+81693+…+100899 = ? où nous avons 100 éléments d’une progression arithmétique de raison 198. Or encore à l’époque, le petit Gauss ne s’est certainement pas servi de la formule générale. On remarquera d’ailleurs que ce problème peut se ramener « facilement » (pour nous à notre âge s’entend, mais pas forcément pour nous qui aurions dix ans, je le concède très volontiers :-)) à :
    100.81297 + 198 . ( 1 + 2 + 3 +…+99) ce qui nous ramène à peu de chose près (comme par hasard) au problème ci-dessus.
    En fait, ce n’est que peu après que l’enfant fut pris en charge par un jeune homme de dix-sept ans, passionné par les mathématiques. Ils étudièrent ensemble et restèrent toujours de grands amis. Cet homme, qui mérite bien que l’on retienne son nom s’appelait Johann Martin Bartels (1769-1836). Le premier geste de Bartels fut d’offrir au jeune Gauss ce qu’il y avait de mieux comme manuel d’arithmétique. A partir de là, les choses sérieuses commencèrent avec d’abord l’étude du binôme (1+X)n et l’usage correct du passage à l’infini, à douze ans il revoyait déjà les fondements de la géométrie euclidienne… Mais tout ça, c’est une autre histoire.
    Conclusion (mais c’est juste MA conclusion) : méfions-nous des biographes ;-)

    Amicalement
    Voilà, peut être ne connaissiez-vous pas l'anecdote exacte. Elle me vient d'une source fiable.
    Rudy

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  8. Bonjour,

    A propos de l'apprentissage du calcul mental.

    J'ai fait un peu d'introspection pour écrire ce message. Je me suis d'abord demandé ce qui se passait dans ma tête lorsque j' additionnais mentalement 6 et 7 (par exemple). J'ai alors observé que je procédais comme-suit : 6 + 7 = 6 + 4 + 3 = 10 + 3 = 13. Je constate donc que, même si la réponse me vient en une fraction de seconde, je ne connais pas par cœur cette réponse. Mais en revanche, je sais par cœur (je « sens ») qu'il faut ajouter 4 à 6 pour obtenir 10, et que 7 vaut à son tour 4 et 3. Bref, d'une manière générale je sais additionner mentalement tel nombre avec tel autre, parce que (pour le moins) je connais par cœur toutes les décompositions possibles en deux nombres de n'importe quel nombre de 1 à 10. Je me demande à présent d'où me vient cette façon de faire. Et là, la réponse est évidente. Cela me vient de l'école primaire où j'ai utilisé les doigts pour apprendre à additionner. Le processus mental s'est donc calqué sur le processus digital (si je puis dire), mais à la condition (et mon cerveau l'a finalement compris) de mémoriser un minimum d'éléments (à savoir notamment les décompositions possibles dont je parle plus haut). On me dira que j'enfonce là des portes ouvertes. Et que je découvrirais facilement que ma façon de multiplier, elle aussi, est directement tributaire de mon apprentissage scolaire. Mais c'est que justement, je veux montrer qu'il y a d'autres façons d'additionner et de multiplier. Et que ces autres façons peuvent être tributaires d'autres apprentissages scolaires (où l'utilisation des doigts peut être largement réduite). Je veux aussi montrer que ces autres apprentissages peuvent être plus conformes à l'esprit de l'enfant, -et plus conforme aussi à l'esprit des mathématiques.
    Ainsi par exemple pour résoudre 6 + 7 = ? je pourrais faire :
    6 + 7 = 6 + 6 + 1 = 12 + 1 = 13 et ce faisant, je me serais appuyé sur le fait de connaître par cœur le double de tout chiffre ( ici 6 + 6 = 12 ), ainsi que sur le fait de savoir effectuer l'opération élémentaire « + 1 ». On me demandera alors comment je pourrais effectuer l'opération 4 + 9.
    Je répondrai 4 + 9 = 4 + 8 + 1 = 4 + 4 + 4 + 1 = 12 + 1 = 13 où je m'appuie sur le fait de connaître par cœur non seulement le double mais aussi le triple de tout chiffre. En fait, en connaissant le double et le triple de tout chiffre, ainsi qu'en sachant effectuer de tête les opérations somme-toute élémentaires {+1; -1; +2; -2} (ces deux dernières opérations revenant à savoir énumérer les suites des nombres pairs et impairs dans les deux sens),
    en connaissant donc cela, j'ai les outils pour effectuer toutes les additions possibles. Quant à savoir comment j'aurai préalablement retenu par cœur les doubles et les triples sans passer par les doigts, je répondrai que la réponse sera dans le message suivant :-)

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  9. [...je répondrai que la réponse sera dans le message suivant :-)
    Anonyme]
    Et on attend :-)

    MD

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  10. Bonjour,

    Jusqu'ici, pour 17.18 j'aurais fait mentalement :

    17.18= 17.10 + 8.10 + 8.7

    Or je peux mettre en évidence 10, ce qui donne votre méthode :

    17.18= (17 + 8).10 + 7.8

    Et là, y a pas photo, on s'encombre moins l'esprit en faisant (17 + 8).10
    plutôt que 17.10 + 8.10 . Cette économie de pensée est bien dans l'esprit des mathématiques.

    Dans votre méthode B de calcul mental, quelque chose m'échappe dans votre manière d'effectuer 6.7 . Si je mets l'index droit en face du pouce gauche, je ne vois pas comment je peux obtenir 3 doigts qui se touchent.
    Pourriez-vous m'expliquer ?

    J'aime beaucoup votre réflexion :

    « ... ce que l’on enseigne doit être la réponse à une question que peut comprendre l’élève, question qu’il peut se poser de lui-même ou que l’on peut l’amener à se poser ». En effet, cela devrait faire partie du b.a.-ba de la pédagogie. Ça rejoint d'ailleurs la notion « d'empathie » dont je parlais plus haut.

    Amicalement

    Rudy

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  11. Ma filleule qui a cinq ans sait déjà compter jusque 15. Elle parcourt des livres pour les enfants de son âge où l'on trouve des dessins d'objets à compter, mais aussi à additionner. Elle compte 3 fleurs à gauche puis 5 fleurs à droite, elle écrit respectivement 3 puis 5 en-dessous (il faut l'aider à écrire les chiffres), puis elle recompte l'ensemble des fleurs et elle écrit 8 à l'endroit dévolu à la somme. Évidemment elle n'a pas mémorisé pour autant que trois fleurs et 5 fleurs donnent 8 fleurs. Je veux dire que si je lui demandais à l'improviste combien font 3 et 5, elle n'aurait pas encore de méthode pour arriver à la solution. Il faut que je lui montre trois doigts de ma main gauche puis les 5 doigts de ma main droite, -et là elle comptera tous les doigts et me donnera la réponse. Ainsi, en imitant ma démarche à l'aide de ses propres doigts, elle pourra arriver à additionner. Puis elle pourra le faire mentalement, quand, à force de répétitions, elle aura mémorisé ce qu'il est nécessaire de mémoriser parmi les tables d'addition.

    Je voudrais montrer, qu'arrivé au stade où est ma filleule (qui ne sait pas encore additionner avec les doigts), on pourrait lui soumettre une autre méthode, que je crois être plus dans l'esprit des mathématiques et plus en rapport avec l'esprit de l'enfant qui est extrêmement « analogique ». Voici, dans les grandes lignes, en quoi consiste cette méthode, étant entendu que c'est une gageure d'expliquer en quatre pages ce qui demandera des années à réaliser.

    Comme j'ai dit plus haut, on trouve dans les livres pour enfants des objets à compter et à additionner. Par exemple : trois cœurs à gauche, quatre cœurs à droite, qui donneront sept cœurs. Or il est possible de dessiner ces cœurs sous une forme plus compacte, comme-suit :

    ..♥........... ♥...♥..........♥..♥..♥
    ♥...♥.........♥...♥..........♥..♥..♥..♥


    Ainsi tout ensemble d'objets peut être ramené schématiquement aux figures suivantes :

    Un . Deux : Trois :. Quatre :: Cinq ::. Six ::: Sept :::.

    Huit :::: Neuf ::::. Dix ::::: Onze :::::. ... ... ... vingt ::::::::::


    On commencera donc par présenter à l'enfant les nombres-points à compter. Par exemple, pour :::: il comptera et écrira 8.
    Ensuite on lui demandera de décomposer chaque nombre-point en 2 ou 3 « paquets » identiques, si c'est possible. Par exemple :

    :::: deviendra ::/:: 8 = 4 + 4 ou 4.2
    ::::. deviendra :./:./:. 9 = 3 + 3 + 3 ou 3.3
    :::::: deviendra :::/::: 12 = 6 + 6 mais aussi 4.3
    13 ne deviendra rien comme 7 ou 5 avant lui.
    Mais ::::::: 14 deviendra :::./:::. 7 et 7.
    10 deviendra 5.2 15 dev. 5.3 et 20 dev. 5.4

    Dès lors pour cinq, dix, quinze et vingt, on préfèrera
    les représentations suivantes :∙: :∙: :∙: :∙: :∙: :∙:
    :∙: :∙: :∙: :∙:

    Par son sens de l'analogie, l'enfant reconnaitra facilement les nombres-points 8, 12, 15, 16 ... comme étant respectivement 2 paquets de 4, 2 paquets de 6, 3 paquets de 5 ... (donc s'en avoir à les compter).

    De nouveaux jeux pourront donc s'installer, qui auront pour but de mémoriser, au final, les doubles et les triples de tous les chiffres.

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  12. (SUITE)

    En même temps que l'on mettra en pratique ce qui précède, on fera de même avec ce qui suit.

    On fabriquera une latte en bois où des punaises seront disposées comme-suit :

    ::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::

    On fera compter avec l'index
    1 3 5 7 . . . .
    2 4 6 8 . . . . .

    En intercalant un stylo comme-suit :/: : : ... , stylo que l'on déplacera de gauche à droite, puis de droite à gauche, l'élève devra donner le nombres de points situés à gauche du stylo. Ce qui donnera 2/4/6/8... ...8/6/4/2
    en intercalant un stylo en biais, il viendra 1/3/5/7/9... .. 9/7/5/3/1
    On atteindra progressivement le nombre 100.
    Au final, l'enfant saura donc combien font :
    x + 1 ; x – 1 ; x + 2 et x – 2 . Pour tout x.

    Nous avons dans tout ce qui précède ce qu'il faut pour pouvoir additionner et multiplier.

    Pour l'addition.

    Quelques exemples :

    4 + 4 = 8 immédiat.
    4 + 5 = 4 + 4 +1 = 8 + 1 = 9
    4 + 3 = 4 + 4 -1 = 8 – 1 = 7 (nous dirons 4 et 3 font presque 8 donc 7)
    4 + 8 = 4 + 4 + 4 = 12
    4 + 9 = 4 + 8 + 1 = 12 + 1 = 13
    4 + 10 = 10 + 4 = 14

    5 + 7 = 5 + 5 + 2 = 10 + 2 = 12
    5 + 8 = 4+1+4+4 = 12 + 1 = 13
    Parfois l'enfant choisira lui-même sa façon de faire :
    5 + 6 = presque 6 + 6 ou 5 + 6 = 5 + 5 + 1
    ... ... ...

    Pour la multiplication.

    Nous savons déjà faire « fois deux » et « fois trois ».

    Pour « fois 4 », puisque 4 se représente comme-suit ::
    pour effectuer, par exemple 7.4 , nous imaginerons un 7 à la place de chaque point : 7 7
    7 7
    Les deux 7 de la ligne supérieure donneront donc 14, idem pour la ligne inférieure, les deux lignes donnant 14 et 14, il vient 28.

    Puisque 6 se représente comme-suit :::
    Pour effectuer 6.7 nous ... ... 777 ... obtiendrons 21 et 21 donc 42.
    777
    Pour « fois 9 », nous parlerons de la représentation carrée du nombre 9
    Ainsi, pour 8.9 nous obtiendrons 8 8 8
    8 8 8
    8 8 8

    24, 24 et 24 donc = 60 + 12 donc 72

    Pour 8.7
    Puisque 8 est :: et :: nous obtenons 14 et 14 à gauche, donc 28 à gauche et de même 28 à dr. . Il vient donc 56.

    Nous savons donc faire x2, x3, x4, x6, x8 et x9

    Il reste x5 qui n'est pas des plus compliqués (d'autant que 2.5 = 5.2 ; 3.5 = 5.3 ; 4.5 = 5.4 ...) 5.5 = 25 sera facilement mémorisé sans support visuel.

    Puis x7 où nous pourrons toujours retourner la multiplication.

    Il y aura donc 5.5 , 7.7 et 7.5 qui échapperont à notre support visuel. Cela restera l'écueil de la méthode :-)

    On passera alors à la récitation par cœur des tables d'addition et de multiplication qui prépareront à la soustraction et à la division.

    Merci pour votre attention.

    Rudy

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