Une
fois de plus :
de
l’importance fondamentale des progressions et des contenus disciplinaires
[Note1]
* *
Plan Partie I
A) L’importance des programmes :
Compayré et le GRIP
B) L’importance des programmes : la
position du TIMSS et le GRIP
C) De bons programmes sont avant tout
des programmes cohérents
1) La cohérence des programmes et le
TIMSS :
2) La cohérence des programmes et Ron
Aharoni
3) La cohérence des programmes et
Suzanne Herbinière-Lebert et M. et R. Fareng (1966)
4) Conclusion partielle sur la
cohérence des programmes
D) L’accueil fait aux thèses du
TIMSS, notamment en France
E) La réaction aux positions du
TIMSS, version média /OCDE : Éric Charbonnier
F) La réaction aux positions du
TIMSS, version universitaire : Michèle Artigue
G) Tout un programme
* *
A)
L’importance des programmes : Compayré et le GRIP
Le
courant de pensée à l’origine du GRIP ( Groupe
de Réflexion Interdisciplinaires sur les Programmes)
et de SLECC apparait de manière formelle en novembre 2002 par le biais d’une
pétition destinée à combattre les nouveaux programmes pour le primaire proposés
par Jack Lang à la suite des travaux d’une
commission dirigée par les deux références qu’étaient Philippe Joutard et
Claude Thélot. Ces propositions de programmes ont été soutenues par tous les
organismes officiels et semi-officiels qui traitaient - et traitent encore - de
l’enseignement des mathématiques [Note 2].
Dès
sa naissance le courant GRIP/SLECC s’intéresse donc prioritairement aux
programmes et, ce qui est logique si l’on ne sépare pas la question des
programmes de celles des progressions, tout d’abord aux programmes du primaire.
Il s’intéresse en particulier à ceux du
tout début du primaire et pour les « matières socle commun des autres matières
» c'est-à-dire initialement dans les progressions, le calcul et l’écriture.
Donc
le GRIP s’intéresse ‘depuis toujours’
aux contenus enseignés mais c’est seulement à partir du texte SLECC de
2004 qu’il affirme explicitement que sa condamnation des programmes de 2002 n’est pas seulement une question
d’opportunité mais tient à la place que
la question des programmes occupe dans sa perspective :
Quant
à nous [SLECC/GRIP,
MD], nous
affirmons que l’élément essentiel déterminant la valeur d'un système scolaire
tient dans les programmes d’enseignement et d’abord, ceux de l'enseignement
primaire [Souligné par moi, MD]. Il y a donc d'autres [éléments] et de
multiples [qui jouent un rôle], mais comment, par exemple, assurer une bonne
formation des enseignants si l'on n'a pas déterminé ce qu'ils doivent
enseigner, s'ils n'ont pas eux-mêmes eu un enseignement primaire de qualité et
un enseignement secondaire leur donnant une culture générale ?
[SLECC-2004],
page 4
Cette
position fait partie du bagage pédagogique classique que l’on retrouve dans de
nombreux manuels d’École normale depuis le milieu du XIXe
siècle ; donnons-en un exemple, le fameux « Cours de pédagogie théorique et pratique » de Gabriel Compayré qui fut un des manuels les
plus utilisés de la fin du XIXe jusqu’aux années 1920. Voyons ce que
Gabriel Compayré dit du rôle de la connaissance disciplinaire dans la qualité
de l’enseignement :
Toutes les considérations [sur les
méthodes et la pédagogie, MD] qui précèdent n'ont d'autre utilité pratique que
d'obliger le maître à réfléchir sur les principes mêmes de l'enseignement, sur
la nécessité de tenir compte à la fois, et de la nature des enfants auxquels il
s'adresse, et de la nature des connaissances qu'il communique. Qu’on n'aille
pas s'imaginer qu'il suffit, pour bien
enseigner, de connaître les distinctions abstraites de la pédagogie. La
première condition pour être un bon professeur, ce sera toujours de posséder
fond la science qu'on est chargé de professer [Souligné par moi, MD]. Un
pédagogue anglais, M. Laurie, le fait observer avec raison : « Un
maître dont l'intelligence est cultivée, et
dont la volonté est fortifiée par l'expérience, par la raison, par la
religion, peut être en état de produire
chez les autres les qualités qu'il possède lui-même, et d'adapter
inconsciemment les procédés qu'il emploie à une méthode exacte.»[Note 3]
Gabriel
Compayré, Cours de pédagogie théorique et
pratique, Librairie classique Paul Delaplane, Paris, 1897, Chapitre «
Les méthodes en général ». http://michel.delord.free.fr/comp-pp-01.pdf
B)
L’importance des programmes : la position du TIMSS et le GRIP
Et
cette idée – l’importance centrale de la qualité du contenu disciplinaire
dans la qualité instructive de l’école – est également une idée
« moderne » puisque redécouverte
par le TIMSS 1995/1996. Elle est exposée dans de nombreux écrits de
TIMSS et en détail dans l’étude assez dense - 400 pages - dirigée par William
H. Schmidt intitulée Why
Schools Matter: A Cross-National Comparison of Curriculum and Learning [Note
4]. Par la suite, on ne s’appuiera pas directement sur l’article Why school matter mais sur un résumé de ce texte écrit par
les mêmes auteurs pour présenter leurs
thèses à l’AFT (American Federation of Teachers). Il s’agit de
l’article A Coherent Curriculum: The Case of Mathematics [Note
5] résumé d’une vingtaine de pages
seulement de Why schools matter [Note
6].
Quelles sont les trois principales conclusions
auxquelles arrivent les auteurs de « A
Coherent Curriculum: The Case of Mathematics » ?
1) La première conclusion : « les
résultats de la course hippique, c'est-à-dire les classements internationaux - quel pays est premier, deuxième,
troisième - n’ont pas d’importance en
eux-mêmes et sont plutôt là pour attirer l’attention du public [Version
originale : Note 7]». Le moins que
l’on puisse en dire est que le conseil n’a pas été suivi d’effets puisque les
discussions sur le classement ont pris dans tous les pays une place
immensément plus grande que celle
portant sur la nécessité d’avoir de bons
programmes ou d’en définir de tels.
2) La deuxième conclusion – que les
auteurs présentent eux-mêmes comme « une des plus importantes découvertes faites à partir de l'étude du
TIMSS 1995 » – : le facteur qui joue le rôle central dans la
qualité d’un système scolaire est le contenu des programmes :
« Ce qui importe est le programme : on ne
récolte que ce que l'on a semé.
Une des plus
importantes découvertes faites à partir de l'étude du TIMSS [Note 8] est que la différence des résultats
suivant les pays dépend de ce qui est enseigné dans chaque pays. En d'autres
termes, les variables démographiques ou autres ne sont pas à l'origine et ne
changent pas de beaucoup le niveau d'instruction obtenu. On constate que c'est l'enseignement lui-même
qui fait la différence. Plus précisément, on observe que ce sont les programmes
eux-mêmes – ce qui est enseigné – qui fait la différence. »
W. Schmidt, R.
Houang, and L. Cogan, A coherent
Curriculum: The Case of Mathematics,
in American Educator, Summer 2002, page 2-3.
[Version anglaise à Note 9]
3) La première conclusion recadrait la
place limitée qui doit être accordée aux classements par pays dans les
évaluations internationales ; la
deuxième indiquait que le facteur essentiel de la bonne qualité d’un système
scolaire est la qualité de ses programmes. Il était donc naturel que la
troisième conclusion tende à définir ce que sont « des programmes de qualité »
: le premier critère mis en avant transparait même dans le titre de l’article –
A coherent curriculum - :
de
bons programmes sont avant tout des programmes cohérents.
C)
De bons programmes sont avant tout des programmes cohérents
On
va s’appuyer sur trois sources qui ont défendu précisément l’importance– fondamentale – de la cohérence des programmes.
1) La cohérence des
programmes et le TIMSS :
Cette
idée est, bien sûr – il suffit de lire le titre de l’article – développée dans «
A Coherent Curriculum: The Case of
Mathematics » de la manière suivante :
We feel that one of the most important characteristics
defining quality in content standards is what we term coherence.
We define content standards and curricula to be
coherent if they are articulated over time as a sequence of topics and
performances that are logical and reflect, where appropriate, the sequential or
hierarchical nature of the disciplinary content from which the subject matter
derives. That is, what and how students are taught should reflect not only the
topics that fall within a certain academic discipline, but also the key ideas
that determine how knowledge is organized and generated within that discipline.
This implies that “to be coherent,” a set of content
standards must evolve from particulars (e.g., the meaning and operations of
whole numbers, including simple math facts and routine computational procedures
associated with whole numbers and fractions) to deeper structures inherent in
the discipline. This deeper structure then serves as a means for connecting the
particulars (such as an understanding of the rational number system and its
properties). The evolution from particulars to deeper structures should occur
over the school year within a particular grade level and as the student
progresses across grades.
2) La cohérence des
programmes et Ron Aharoni
Mais
pour avoir une vision « encore plus cohérente » de ce que
signifie la cohérence mathématique, on peut s’appuyer sur ce que dit Ron
Aharoni, mathématicien israélien qui a enseigné en primaire et qui fait partie
de ceux qui a été à l’origine de l’encouragement à adopter les Singapore Mathematics. On doit lire son livre Arithmetic for parents dont voici un extrait :
[Le raisonnement mathématique]
Chaque
couche [d’un raisonnement] est établie à son tour et sert de base à la
suivante, selon le principe «une chose après l’autre». Il y a d'autres domaines
[que les mathématiques] dans lesquels la connaissance est construite sur des
connaissances antérieures, mais dans aucun autre domaine, les empilements n'atteignent
de telles hauteurs, et les couches les plus hautes ne se basent aussi
clairement sur les couches les plus basses.
La
première chose à savoir sur l'éducation mathématique est que ce principe
d’empilement est vrai non seulement pour les mathématiques avancées, mais aussi
pour les mathématiques élémentaires. Là aussi, la connaissance se construit en
couches, chacune s'appuyant sur la précédente. Le secret d'un enseignement
digne de ce nom consiste à reconnaître explicitement ces couches et à les
enseigner [establish] systématiquement.
Une
anecdote célèbre de l'histoire des mathématiques fait référence à cette
impossibilité des raccourcis. Le héros de l'histoire est Euclide, qui a vécu à
Alexandrie entre 350 et 275 av. J.-C. et a écrit Les éléments, le livre de
géométrie le plus important de l'antiquité (et peut-être de tous les temps).
Entre autres, il y définit les termes «axiome» et «preuve», deux des plus
grandes découvertes de la pensée mathématiques.
Ptolémée,
le roi d'Égypte à cette époque, a demandé à Euclide ce qui permettait de rendre
plus facile la lecture de son livre. « Il
n'y a pas de route royale vers les mathématiques », a répondu ce
dernier.
Même
les rois ne peuvent pas sauter les étapes [Stobaeus, historien grec du 5e
siècle, attribue la même histoire à différents personnages: par exemple à
Alexandre le Grand et son maître, Menaechmus].
C’est
aussi vrai pour les mathématiques élémentaires. Comme il s'agit du bas de
l’empilement, le nombre de couches qu'il met en place est plus petit que celui
correspondant aux longues chaînes d'arguments des mathématiques supérieures.
C'est l'une des raisons pour lesquelles cet empilement est accessible aux enfants
et conforme à leurs capacités. Dans un autre sens, cependant, cet enseignement
est plus difficile. Certaines de ses couches sont cachées et difficiles à
discerner, comme si elles étaient construites sous l'eau et donc difficiles à
voir. Les repérer nécessite une observation attentive. Il est donc facile de ne
pas se rendre compte de leurs existences et d’omettre en conséquence leur
enseignement explicite. Les mathématiques à l'école élémentaire ne sont pas
sophistiquées, mais elles sont porteuses de sagesse. Elles ne sont pas
complexes mais profondes.
L’anxiété mathématique
Les
chercheurs en éducation utilisent le terme «anxiété mathématique». Il n'y a pas
d'anxiété liée à l'histoire, ni d'anxiété liée à la géographie, mais il y a de
l'anxiété en mathématiques. Pourquoi? La raison principale réside dans la
structure en couches de cette matière: l'anxiété mathématique survient lorsqu'une
étape est sautée sans que l’on s’en rende compte. Comme indiqué supra, de
nombreuses couches de connaissances mathématiques sont si élémentaires qu'elles
sont souvent faciles à manquer.
Lorsque
cela se produit et que l'on essaie d'établir une nouvelle couche par-dessus la
couche manquante, ni l'enseignant ni l'étudiant ne peuvent discerner l'origine
du problème. L'élève entend quelque chose qui n'a pas de sens pour lui,
puisqu'il n'est «probablement pas encore
prêt». L'enseignant est également perplexe, puisqu'il ne peut identifier la
source de la difficulté. Quand on ne comprend pas l'origine d'un problème, la
peur n'est pas concentrée et l'angoisse est née.
Une
telle « couche » n'a pas obligatoirement besoin d'être une
connaissance explicite. Parfois, c'est l'acquisition de l'expérience. Par
exemple, pour acquérir le concept du nombre, il faut avoir une grande expérience
du comptage. L'esprit d'un enfant qui compte se modifie simplement sous l’effet
du fait qu’il compte.
On
a donc affaire à une aptitude qui se construit progressivement et qui nécessite
un investissement en temps et en efforts même si ses résultats n’en sont pas
immédiatement apparents et quantifiables.
On
ne peut pas parler d'anxiété mathématique sans mentionner aussi l'envers de la
médaille - la joie des mathématiques. De même que l'anxiété n'est associée à
aucune autre discipline, le bonheur qui irradie le visage de l’enfant qui
comprend un principe mathématique ne se voit dans aucune autre matière. Il y a probablement
un lien entre les deux phénomènes.
Ron Aharoni, Arithmetic
for Parents, World Scientific Publishing Co. Pte., Singapore, 2006, p.18-19.
3) La cohérence des
programmes et Suzanne Herbinière-Lebert et M. et R. Fareng (1966)
Bref,
les débuts du calcul se placent avant les débuts de la lecture parce qu’ils
sont, en quelque sorte, intégrés dans l’expérience quotidienne.
Cependant
cet intérêt spontané des enfants pour les nombres s’arrête dès que les
difficultés apparaissent, si elles ne sont pas abordées dans l’ordre rigoureux
qui convient.
Plus que n’importe quelle science, le
calcul exige un bon apprentissage. Il faut connaître l’ordre des étapes et n’en
brûler aucune. La solidité de la chaîne est liée à celle de tous ses maillons ;
si un seul faiblit, tout est compromis.
Rien de plus facile si l’on prend le
bon chemin.
Mais rien n’est plus difficile que de
corriger les erreurs initiales.
R.
Fareng et M. Fareng L’apprentissage du
calcul avec les enfants de 4 à 7 ans, Fernand Nathan, 1966,
In
Préface par Suzanne Herbinière-Lebert,
inspectrice générale
R.
Fareng, Inspecteur départemental de l’Éducation nationale chargé de l’Enfance
inadaptée
M.
Fareng Ancienne Institutrice de Cours
Préparatoire, Professeur de Mathématiques
*
* *
4) Conclusion partielle
sur la cohérence des programmes
Les
trois points de vue sur la « cohérence », celui de Suzanne Herbinière-Lebert, celui du TIMSS celui de Ron Aharoni, sont
parfaitement complémentaires et, au cours de ce texte, on s’y réfèrera si
nécessaire.
Mais
on peut d’ores et déjà remarquer, en s’appuyant notamment sur le point de vue
développé par Ron Aharoni, que toute volonté de remédiation d’une situation d’anxiété mathématique ne
s’appuyant pas sur la mise en place d’une cohérence adaptée au niveau de
raisonnement de l’élève est au mieux
inefficace. Elle est même plus
probablement nocive car elle aggrave l’insécurité argumentative et l’anxiété de
l’élève puisque alors que la mémoire de l’élève est déjà surchargée de faits
hétéroclites et non organisés, on lui en rajoute une couche supplémentaire.
Ainsi
avoir l’objectif de « mettre l’élève
en activité » sans plus de précisions, directive (plus que) très
longtemps dominante, a probablement été un des facteurs principaux de
croissance de l’anxiété mathématique. Et rien ne prouve que la situation ait
fondamentalement changé, ce qui laisse
une marge très confortable d’amélioration possible.
On
peut faire le même type de remarque pour la recommandation de tout type
d’activité si elle n’est pas fondamentalement accompagnée ou dirigée par une
perspective de construction de la rationalité de l’élève.
Ceci vaut bien sûr pour la conception des mathématiques exclusivement comme
résolution de problèmes, exclusivement comme un jeu ou pour la mise en avant du calcul mental
« parce qu’il y aurait moins de règles que dans le calcul écrit comme
nous l’explique ERMEL».
On
a donc une riche gamme d’activités recommandées depuis des années comme
solutions souriantes et progressistes à
la crise de l’enseignement des mathématiques qui, et encore plus par effet
cumulatif sur les cinquante dernières années, ont contribué et contribuent
encore l’impossibilité pour l’élève de construire
sa propre raison et le plongent dans la dé-raison.
L’activisme mathématique
invente le mouvement perpétuel : vous lancez la
machine en offrant à l’élève une pléiade
d’activités sans liens entre elles ou sans liens explicites entre elles. Le
jour ou cet élève oubliant est saisi par « l’angoisse des mathématiques »,
ce qui va surement arriver, vous lui proposez une nouvelle série d’activité
(encore moins organisée pour lui donner confiance ?). Le système ne peut plus s’arrêter et l’on introduit ainsi la
remédiation tout au long de la vie, le public et le privé se disputant
pour conquérir ce nouveau marché.
D)
L’accueil fait aux thèses du TIMSS, notamment en France
Remarquons tout d’abord
que, à notre connaissance, les conclusions du TIMSS sont toujours recevables
d’autant plus que, depuis une vingtaine d’années, aucune étude n’est venue les
contredire.
Ceci
dit, l’action de la tendance majoritaire des débats dans les pays européens –
la France ayant un rôle majeur dans cette orientation – a consisté à prendre le contrepied direct ou
indirect des conclusions du TIMSS :
1)
cette tendance s’est d’abord concentrée et a abondamment développé justement ce
que TIMSS considère comme secondaire par excellence, c'est-à-dire la place dans
les tests internationaux ;
2)
elle a ensuite insisté sur tout ce qui est – au mieux – secondaire, c'est-à-dire les méthodes pédagogiques
ou « les variables démographiques ou autres [qui] ne sont pas à l'origine et
ne changent pas de beaucoup le niveau d'instruction obtenu ».
3)
elle s’appuie de préférence non pas sur les thèses de TIMSS mais sur la
méthodologie de l’OCDE/PISA qui, par principe ne teste pas les contenus
scolaires disciplinaires définis dans les programmes mais ce que le consortium
PISA appelle « la culture mathématique » qui omet non seulement la
géométrie mais aussi toute forme de démonstration, ce qui est directement
antagonique avec la nécessité fondamentale de cohérence dont TIMSS fait
l’élément essentiel caractérisant de bons programmes.
E)
La réaction aux positions du TIMSS, version média /OCDE : Éric
Charbonnier
Voyons
ce que dit Éric Charbonnier dans une interview à SOS-Éducation qui le présente
comme « analyste de la direction de
l’éducation et des compétences à l’OCDE, et référent des études PISA pour la
France »:
Résultats PISA : l’avis de l’expert
français Eric Charbonnier [interview exclusive]
SOS Éducation — Selon vous, quels
sont les 3 enseignements les plus importants à retenir de cette édition PISA
2018 ?
Éric Charbonnier — Le premier
enseignement à retenir c’est finalement le statu quo des performances puisque
la France est légèrement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. […]
Le deuxième enseignement, c’est que
le niveau des inégalités sociales reste très haut : la France fait partie des
pays les plus inégalitaires des pays de l’OCDE. […]
Le troisième enseignement de cette
étude est le fait que les élèves sont plutôt heureux à l’école (note de 7/10
sur la satisfaction), mais avec un climat d’indiscipline très fort : la France
fait partie des trois pays avec le plus d’indiscipline à l’intérieur des
classes. Les élèves sont heureux, mais ils évoluent dans des classes où il y a
beaucoup de bruit SOS Education, 3 décembre 2019
[Note 10]
Le premier enseignement – ce n’est pas moi
mais E. Charbonnier qui dit « premier »-
tiré de PISA 2018 par Éric Charbonnier et l’OCDE porte donc sur les résultats
de la course hippique, « qui n’ont pas grand intérêt en eux-mêmes ».
Les deuxièmes et troisièmes enseignements portent eux sur « le
niveau des inégalités sociales » et le fait que « les élèves sont heureux à l’école »,
autrement dit ce que TIMSS appelle explicitement « les variables démographiques ou autres [qui] ne sont pas à l'origine et
ne changent pas de beaucoup le niveau d'instruction obtenu ».
On abuse donc le bon
peuple en s’étendant sur les résultats du PMU, ce qui permet de ne pas parler
des programmes (ou de se réjouir des baisses de niveau à condition qu’elles
soient démocratiques).
F)
La réaction aux positions du TIMSS, version universitaire : Michèle Artigue
Bien
sûr, Michèle Artigue n’attaque pas de face la thèse de l’importance centrale
des programmes défendue par le TIMSS mais, par exemple, dans la journée
nationale de l’APMEP qui s’est tenue le 7 mars 2004 à Grenoble, elle défend une
thèse qui va vider la notion de programme de son sens, notamment en favorisant
l’idée que le contenu des programmes ne serait pas défini par des connaissances
mais par des compétences.
Michèle
Artigue réclame ainsi
« De
nouvelles approches curriculaires: compétences /contenus
Une importance
croissante accordée à l’identification des compétences que l’éducation
mathématique doit développer.
Une organisation
curriculaire qui reflète cette évolution. »
Dans
cet état d’esprit, elle met en avant le projet danois KOM (www.nvfaglighed.emu.dk)
qui justement se propose
[d’] utiliser la
notion de compétence pour structurer le curriculum :
–la compétence
mathématique est définie comme la capacité d’un individu à agir de façon
mathématiquement appropriée face à une situation problématique,
–personne n’est
totalement compétent (respectivement incompétent).
Michèle
Artigue explique la raison fondamentale d’un tel choix
Il faut lutter
contre la « syllabusitis », cette maladie consistant à penser « que la maîtrise d’un domaine peut être
identifiée à celle des contenus d’un programme. » conception dont le
défaut est de rendre difficile, selon les auteurs du projet :
–une clarification
de ce qu’est la formation mathématique,
–la mise en place
du travail essentiel de mathématisation,
–la prise en
compte des types et des niveaux différents de besoins mathématiques.
On
a globalement compris
-
Éric Charbonnier parle de tout mais surtout pas des programmes : son rôle
est d’attirer l’attention du chaland vers des questions secondaires et il y
réussit parfaitement. Mission
accomplie pour Éric Charbonnier.
-
le projet KOM cité par Michèle Artigue a apparemment disparu corps et bien très
rapidement mais à bien joué son rôle
pour attirer l’attention sur ce qui n’existe peut-être pas mais est présenté comme un « abus du rôle des
programmes » abus qui se caractériserait opportunément dans la croyance « que la maîtrise d’un domaine peut être
identifiée à celle des contenus d’un programme. » On n’a bien sur aucun
exemple de cette terrible maladie mais l’important pour de la thèse de Michèle
Artigue était bien d’empêcher l’émergence de l’idée qu’un programme doit être
cohérent et que la cohérence est une question de connaissance et non de
compétences. Tout ceci en nous expliquant plus
précisément que l’abus des programmes est dangereux et peut même causer une
maladie, la syllabusitis (ou programmite). Mission accomplie aussi pour Michèle Artigue.
G)
Tout un programme…
On
pourra prolonger utilement ce catalogue des différentes stratégies visant à minimiser
l’importance des programmes ; il faut en signaler une, majeure à laquelle
fait référence Michèle Artigue, qui sera traitée ultérieurement qui consiste à critiquer la notion de
programme au nom de l’importance du curriculum [Note 11].
Si
supra nous avons non pas exposé pour
la première fois mais rappelé, peut-être avec une certaine lourdeur,
nombre d’arguments montrant « l’importance fondamentale des
programmes », c’est parce ces éléments de réflexion ont déjà été présentés
de multiples fois « aux autorités pédagogiques compétentes » depuis le début des années 2000. La pédagogie à
adopter par rapport à un tel public doit d’abord être une pédagogie de répétition.
Cette répétition faite, nous allons voir que nous savons aussi être inventifs dans
la partie II intitulée « Torossian
et Villani lavent plus blanc : la question des programmes ».
Ceci
dit, revenons à l’essentiel : si la perspective donnée à l’école est
l’éducation et non l’instruction, si l’on recommande la maitrise exclusive de
compétences négligeant les
connaissances, on ne voit pas pourquoi les programmes de mathématiques
seraient importants. Et si cette perspective néfaste n’est pas celle de
l’appareil, on doit lui reconnaitre qu’il l’imite bien et que le contenu du
rapport Torossian/Villani ne lui fait pas obstacle.
Michel Delord, le 30 janvier 2020
À
suivre: Partie II : Torossian et Villani
lavent plus blanc : la question des programmes
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-
NOTES Partie I -
Note
1: Petit complément à Michel Delord, Des programmes et du CSP. Il y a CSP et CSP
!, 18/01/2018
Note
2:
i) Je veux parler de la CFEM, de l’ADIREM,
de l’APMEP, de l’ARDM, de la CNFM, de Femmes & Mathématiques, de l’IGEN, de
la SFdS de la SMAI, de la SMF ou de l’UPS : en tant que tels
- aucun de ces
organismes ne s’est opposé aux mesures figurant dans le rapport
Torossian-Villani.
- non seulement
aucun de ces organismes ne s’est opposé aux programmes de 2002 mais ils les ont
dans la grande majorité explicitement soutenus
ii) Le cas de la SMF est légèrement diffèrent : elle ne s’est
certes pas opposée en tant que telle aux
programmes de 2002 mais Paul-Jean Cahen,
vice-président de la SMF a expliqué dans un courrier public intitulé « La division nous divise » qu’il signait
la pétition contre ces nouveaux programmes.
Cf.
: P.-J. Cahen, La division nous divise,
Gazette des mathématiciens n° 100, 04/2004
Note 3: M. Laurie,
Primary Instruction in relation to
Education, Edinburg 1883, p. 27.
Note 4: Schmidt William H., McKnight, Curtis C., Houang,
Richard T., Wang, HsingChi, Wiley, David E. Cogan, Leland S.; Wolfe, Richard
G., Why Schools Matter: A Cross-National
Comparison of Curriculum and Learning,
The Jossey-Bass Education Series, 400 pages, San Francisco ,2001.
Note 5: William
Schmidt, Richard Houang, and Leland Cogan, A
coherent Curriculum: The Case of Mathematics, American Educator, Summer
2002,
Note
6: A Coherent Curriculum: The Case of
Mathematics est écrit par trois
auteurs principaux du texte initial dont deux - William Schmidt et Richard
Houang - ne sont rien moins que directeur et directeur adjoint de l’U.S.
National Research Center for the Third International Mathematics and Science
Study (TIMSS).
Note 7: Version
originale:
The Horse Race
The horse race—who comes in first, second, and
third—is not particularly important in and of itself. In fact, the ranking of
nations is simply the two-by-four by which to get people’s attention.
[CoherentCCM2002], page 2
Note 8: Third
International Mathematics and Science Study http://timss.bc.edu/
Note 9: Version originale:
Curriculum
Matters: What You Teach is What You Get
One of the most important findings from TIMSS is that
the differences in achievement from country to country are related to what is
taught in different countries. In other words, this is not primarily a matter
of demographic variables or other variables that are not greatly affected by
schooling. What we can see in TIMSS is that schooling makes a difference.
Specifically, we can see that the curriculum itself—what is taught—makes a huge
difference.
Note
11:
Anne
Feyfant, Les contenus d’enseignement :
des programmes au curriculum, ifé, Dossier n°85, 06/2013.
Anne
Feyfand, Quels contenus pour
l’enseignement obligatoire? idem
Dossier complet à : http://veille-et-analyses.ens-lyon.fr/DA-Veille/85-juin-2013.pdf
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