- Partie II –
Torossian et Villani
lavent plus blanc : La question des programmes. Partie II
* *
Plan
de la partie II
A) Annonce (discrète) de Charles
Torossian du 12 mars 2019 : être au rendez-vous de TIMSS 2023.
B) Charles Torossian et le PMU
C) Les positions du TIMSS sur les
programmes rendues politiquement correctes par les 21 mesures du rapport
Torossian-Villani
D)
20 mars 2019 : La fin des malentendus
[Avec une critique détaillée des
positions de Cédric Villani sur le « malentendu n°7 »]
E) Conclusion partielle
A) L’annonce (discrète)
de Charles Torossian du 12 mars 2019
Les 11 et 12 mars 2019,
Charles Torossian participe à Lyon à une formation de formateurs dont l’objet
est « Mise en œuvre du plan Torossian-Villani : Où en est-on ?
Quels conseils pour poursuivre ? [Note 1] ». Il y déclare
« Si on vous dit aujourd'hui l'urgence c'est
être au rendez-vous de TIMSS en 2023, ces quatre ans c'est TIMMS en 2023, c'est
dans quatre ans : moi je veux quatre ans, on se donne quatre ans pour remonter,
et accomplir cette tâche, grande tâche, et ça c'est une urgence. »
Apparait donc à cette
date l’annonce que « l’urgence aujourd’hui »
c’est « d’être au rendez-vous de TIMSS 2023 », et que l’on doit se
donner les moyens de « remonter ».
Si l’objectif mis en
avant par C. Torossian est aussi important et impératif qu’il le dit (c’est
« une tâche, grande tâche », …« ça, c’est une urgence »), on s’attendrait
- à ce qu’il soit annoncé
autrement qu’au détour d’un exposé de Charles Torossian et qu’il soit au moins
mentionné dans le résumé officiel de la réunion, comme c’est le cas pour la supposée nouvelle thèse de « l’hypothèse de l’effet cumulatif [Note2,
Important :
A lire] »
- à ce qu’il soit plus
développé qu’une simple annonce (passer les tests TIMSS) qui ne précise même
pas l’objectif immédiat attendu : s’il faut « remonter », il est
au minimum tout à fait essentiel de
dire à partir de quel niveau se fait cette remontée et jusqu’à quel niveau elle
doit aller pour qu’on puisse la considérer comme un succès.
- à ce que l’on sache ce
que signifie pour le ministère l’objectif flou « remonter dans le classement TIMSS », position qui
se caractérise jusqu’à nouvel ordre comme l’approbation implicite et sans
discussion de toute la perspective de TIMSS.
La compréhension de
l’enjeu constitué par ce nouvel objectif suppose, au moins, une analyse même
minimale de ce qui unifie et différencie les conceptions de TIMSS de celles contenues dans les 21 mesures du
rapport Torossian-Villani. On ne peut
que s’étonner du fait que, s’il avait un objectif de transparence, Charles
Torossian « n’ait pas pensé à le
faire » (à moins qu’il ait explicitement pensé à ne pas le faire… et s’en soit tenu à cet avis). Quoi qu’il en
soit nous allons essayer de donner
quelques éléments de réponse à cette question.
B) Charles Torossian et
le PMU
La seule chose à laquelle
C. Torossian fait explicitement allusion dans cette annonce de mars 2019 est la
nécessité de « remonter » dans le classement international mis en
place par TIMSS. Le seul point mis en avant par C. Torossian est donc justement
« la remontée dans les classements internationaux » ce que le TIMSS
appelle par dérision The horse Race
et dont il dit plus précisément qu’elle
n’a pas d’importance en elle-même et qu’elle est là simplement pour attirer
l’attention du public. Mais la véritable question ne serait-elle pas :
Dans quelle part les mesures proposées
par C. Torossian n’ont-elles pas été conçues justement seulement « pour
attirer l’attention du public » ?
C) Les positions du TIMSS
sur les programmes rendues politiquement correctes par les 21 mesures du
rapport Torossian-Villani
La question des
« courses de chevaux » étant traitée, quelle est l’attitude de Charles Torossian/ Cédric Villani par rapport aux thèses du TIMSS et notamment
sur la question – centrale pour le TIMSS – de l’importance primordiale de la
qualité des programmes dans la qualité instructive d’un système scolaire ?
J’avais envoyé aux rapporteurs les extraits de SLECC 2004 incluant les
positions du TIMSS sur l’importance centrale de la qualité des programmes.
Je leur avais demandé ce qu’ils en pensaient et ce qu’ils comptaient en faire. Il m’avait été répondu : on
va vous citer. Le fait que je sois cité ou pas est secondaire :
l’important est que les rapporteurs aient été au courant des positions
centrales du TIMSS – qui sont très peu
mises en avant – au moment où ils écrivaient leur rapport pour qu’ils puissent
en tirer des conséquences. Et voilà infra
le résultat :
Le texte original (SLECC2004)
|
Ce qu’en fait le rapport Torossian-Villani
|
Pour la restauration des programmes d'un véritable
enseignement primaire
[…]
Quant
à nous, nous affirmons que l’élément essentiel déterminant la valeur d'un système
scolaire tient dans les programmes d’enseignement et d’abord, ceux de
l'enseignement primaire.
« Ce qui
importe est le programme : on ne récolte que ce que l'on a semé.
Une des plus importantes découvertes faites à partir
de l'étude du TIMMS est que la
différence des résultats suivant les pays dépend de ce qui est enseigné dans
chaque pays. En d'autres termes, les variables démographiques ou autres ne
sont pas à l'origine et ne changent pas de beaucoup le niveau d'instruction
obtenu. On constate que c'est
l'enseignement lui-même qui fait la différence. Plus précisément, on observe
que ce sont les programmes eux-mêmes – ce qui est enseigné – qui fait la
différence.
»
W. Schmidt, R. Houang, and L.Cogan,
A Coherent Curriculum: The Case of Mathematics,
American
Educator, Summer 2002.
La
qualité d'un programme est caractérisée par
- sa cohérence, c'est-à-dire la
définition des prérequis pour passer d'un niveau au niveau suivant et la
complémentarité des programmes de chaque matière.
-
sa
compacité : un programme est d'autant plus efficient qu'il
comprend pour un niveau donné un nombre raisonnable de nouvelles notions sous
réserve qu’elles soient étudiées de manière suffisamment approfondie. La
caractéristique d'un mauvais programme est, au contraire, pour chaque niveau,
d’aborder un nombre important de notions traitées de manière superficielle, l'étude
de chaque notion s'étendant sur un très grand nombre d’années. Il est étendu
mais sans profondeur : "A Mile Wide, an Inch Deep."
|
2. Que faut-il apprendre des pratiques les plus
concluantes notamment à l’international ?
[…]
2.2. Les
pédagogies alternatives – laisser place à l’intuition de l’enfant
[…]
Les programmes
Ce
grand éventail de méthodes ne doit pas faire oublier que la question de
l’efficacité pédagogique est à mettre en perspective par rapport aux contenus
enseignés.
C’est
ce que TIMSS met en valeur depuis le début des années 2000, en analysant les
systèmes qui ont les meilleurs résultats (et donc Singapour). Dans l’article A coherent curriculum: the case of
mathematics, publié par l’American Federation of Teachers, les auteurs
précisent des caractéristiques de ces systèmes :
*la cohérence,
c'est-à-dire la définition précise des prérequis, essentiellement annuels,
pour passer d'un niveau au niveau suivant et la complémentarité des
programmes de chaque matière ;
* la concision :
un programme est d'autant plus efficace qu'il comprend, pour un niveau donné,
un nombre raisonnable de nouvelles notions, sous réserve qu’elles soient
étudiées de manière suffisamment approfondie.
La
caractéristique d'un programme déficient est, au contraire, d’aborder à
chaque niveau un nombre important de notions traitées de manière
superficielle, l'étude de chacune s'étendant sur un grand nombre d'années. Il
est étendu mais sans profondeur : « a mile wide, an inch deep ».
C. Villani et C.
Torossian,
21 mesures pour l’enseignement des mathématiques,
Rapport remis le
12/02/2018, pages 20-21
[Note 3]
|
Dans le texte du GRIP
repris de TIMSS en 2004 (dans lequel les citations sont exactes et facilement
vérifiables (ce qui n’est pas le cas des citations sur le sujet dans les
« 21 mesures »), on a l’affirmation claire par le TIMSS du fait que
ce sont les programmes (et pas d’autres
facteurs) dont la qualité influe les plus sur la réussite scolaire des
élèves.
La première chose que
l’on peut remarquer est que dans le texte des 21 mesures, les auteurs, qui
connaissent parfaitement cette position centrale du TIMSS – qui est même LA
position centrale du TIMSS – font disparaitre cette affirmation très claire, ce
qui modifie complétement ce que le lecteur peut comprendre de la position du
TIMSS.
Une preuve :
- TIMSS explique :
«
Ce qui importe est le programme : on ne
récolte que ce que l'on a semé. Une des
plus importantes découvertes faites à partir de l'étude du TIMMS est que la différence des résultats suivant
les pays dépend de ce qui est enseigné dans chaque pays. […] Plus précisément, on observe que ce sont les
programmes eux-mêmes – ce qui est enseigné – qui fait la différence. »
-
le rapport Torossian-Villani « traduit » cette phrase par une formule
incompréhensible qui peut vouloir dire tout et son contraire mais ne laisse pas deviner – et c’est bien ce
qui est recherché – que, dans les positions du TIMSS, le rôle des programmes est central
« Les
programmes
Ce grand éventail de méthodes ne doit pas faire
oublier que la question de l’efficacité pédagogique est à mettre en perspective
par rapport aux contenus enseignés. »
Observons
plus précisément comment CT/TV procèdent pour déformer ainsi la vérité. On peut
ainsi faire la comparaison avec ce que j’avais écrit en 2004
« La qualité d'un programme est caractérisée
par
- sa cohérence […]
- sa compacité […] »
ce
dont s’inspire la citation des 21 mesures mais pour écrire quelque chose de
tout à fait diffèrent :
« Dans l’article A coherent
curriculum: the case of mathematics,
publié par l’American Federation of Teachers, les auteurs précisent des caractéristiques de ces systèmes :
*la cohérence […] ;
* la concision […] »
Dans l’article du TIMSS
reproduit par le GRIP en 2004, la cohérence et la concision ne sont pas « des caractéristiques de ces systèmes » –
on se demande ce que peut bien désigner
un « système scolaire concis »– mais, et c’est clairement
écrit, des caractéristiques des
programmes. Et l’on a bien là une autre astuce rhétorique concourant à
faire disparaitre, dans un chapitre intitulé Les programmes, toute référence aux programmes et à leur importance
centrale.
On peut constater que, à
partir de la publication des 21 mesures (12 février 2018) et jusqu’à
la vidéo de Cédric Villani « sur les malentendus » (20 mars
2019), Torossian/Villani répandent une
conception pour le moins très déformée des positions du TIMSS mais ils
n’attaquent pas explicitement toute conception mettant en avant le rôle central
des programmes
Pour
ceux qui ne tiennent pas compte de la nécessaire cohérence des divers aspects
de leurs activités et positions, cette absence de
position explicite sur le rôle des programmes pouvait ne pas poser de problèmes
au moment de la publication des 21 mesures puisque le rapport Torossian-Villani
n’indique nulle part la mise en place d’une collaboration entre le ministère et
le TIMSS. Mais à partir du moment où Charles Torossian explique que « l’urgence aujourd’hui c’est d’être au rendez-vous de TIMSS 2023 », le
fait qu’il y ait possibilité de divergence de principe entre les 21 mesures et
les postions du TIMSS ne peut plus être considéré, même par les plus bornés,
comme une question secondaire que l’on peut négliger à loisir.
D)
20 mars 2019 : La fin des
malentendus :
Avec
une critique détaillée des positions de Cédric Villani sur le « malentendu
n°7 »
Cédric
Villani publie le 20 mars 2019 une vidéo intitulée « 10 Malentendus et précisions ».Voici la
transcription, à partir de 11:55, du
« Malentendu numéro 7 »,
justement intitulé : Les programmes.
Pourquoi avoir si peu parlé des
programmes dans notre rapport ? On a eu le reproche en se demandant si ce n'est pas une méconnaissance des programmes
de notre part ou si ce n'est pas un manque accablant de ne pas s’être concentré
sur l'outil numéro 1 de transformation d'un système éducatif. Et il y a deux
raisons pour lesquelles on a très peu abordé les programmes dans le rapport :
la première c'est qu'il y a eu des révisions récentes des programmes et que
c'est appliqué sur le terrain dans certaines écoles certains établissement mais
pas du tout dans tous ; et la seconde
raison c'est que en France on a tendance à accorder beaucoup trop d'importance
aux programmes par rapport à tout le reste ; et on voulait précisément insister
sur tout le reste. Tout le reste c'est quoi ? Le nombre d'heures, les volumes
horaires, d'enseignement, de formation, de tout ce que vous voulez,
l'organisation, les processus d'évaluation, les processus d'interaction, tout
cela. Et ça compte au moins autant sinon
davantage que les programmes.
Ce
coup-ci, les positions Torossian-Villani ne sont plus ambigües, et on est
maintenant sûr que l’ambigüité des positions précédentes ne servait
i)
qu’à faire semblant de ménager provisoirement, par exemple les partisans de
positions proches de celles du GRIP
ii)
qu’à préparer la position véritable
cachée derrière l’ambiguïté des 21 mesures : « pour la France, la question des programmes
est une question secondaire. »
Reprenons point par point
l’exposé fourni par Cédric Villani sur le malentendu n°7 – Les programmes
– :
CV [Cédric Villani]
– Pourquoi avoir si peu parlé des programmes dans notre rapport ?
MD [Michel Delord] – Le moins que l’on puisse en dire
est que l’on aurait dû traiter cette question fondamentale dans le cadre même
du rapport Torossian-Villani et même en introduction de celui-ci au vu de
l’importance centrale du sujet. Et la principale question est : pourquoi
cela n’a-t-il pas été fait ? Le malentendu était-il profitable pour les
auteurs ?
CV – On a eu le
reproche en se demandant si ce n'est pas
une méconnaissance des programmes de notre part
MD –
À ma connaissance, personne n’a accusé CT/CV de « méconnaissance des
programmes ». Il semble sûr, par contre que CT/CV construise ainsi un ennemi imaginaire
pour éviter de répondre à des questions très claires et très réelles du
type : les programmes sont-ils
« l'outil numéro 1 de transformation d'un système éducatif» ?, les
programmes actuels en France sont-ils de « bons programmes » ?
CV – ou si ce n'est pas un manque accablant de
ne pas s’être concentré sur l'outil numéro 1 de transformation d'un système
éducatif.
MD –
La question est simple mais embrouillée par CV.
Si CT/CV pensent que les programmes sont
« l'outil numéro 1 de transformation d'un système éducatif »,
ils doivent expliquer pourquoi ils ne le disent pas explicitement et pourquoi
cette vérité assez générale et internationale au vu de la manière dont elle a
été établie par le TIMSS ne serait justement pas valable pour la France. Si
CT/CV pensent que les programmes ne sont pas « l'outil numéro 1 de
transformation d'un système éducatif», ils doivent être capables de contrer
sérieusement* les affirmations de
TIMSS. Et CT/TV doivent surtout expliquer pourquoi ils sont favorables au
passage des tests du TIMSS en 2023 alors qu’ils ne sont pas d’accord avec une
des plus importantes orientations de cet organisme sur l’importance des
programmes.
* Lorsque je dis
« sérieusement »,
je fais référence au fait que la position
de TIMSS sur les programmes est le résultat d’une étude les plus
importantes jamais réalisée sur le sujet
par l’organisme considéré comme le plus sérieux sur ce type de questions.
Si CT/TV veulent effectivement s’attaquer aux 400 pages de Why school matter pour justifier leurs positions, ils peuvent le faire
mais ils doivent considérer que la
critique de la position du TIMSS ne consistera pas à avancer quelques arguments
épars tels que ceux avancés par CV dans ce fameux « malentendu 7 ».
Je tiens de plus à (re)préciser qu’on peut avoir une opinion plus que réservée
sur l’utilisation des tests internationaux et en particulier comme moyens de
pilotage, mais que cette vérité ne doit pas cacher que le consortium PISA/OCDE ne revendique pas
d’évaluer des mathématiques (et elle ne le fait effectivement pas) tandis que
TIMSS revendique l’évaluation de mathématiques même si l’on peut se poser des
questions sur la manière dont elle l’effectue.
CV – Et il y a
deux raisons pour lesquelles on a très peu abordé les programmes dans le
rapport :
MD – N’y aurait-il pas une
« troisième raison », incarnée par un consortium comprenant au moins l’APMEP, ARDM, SNUIPP, etc. qui
aurait exercé « une certaine pression » contre toute décision de
modification des programmes, position que ce consortium défend depuis les
programmes de 2002 ?
CV – la
première c'est qu'il y a eu des révisions récentes des programmes
MD – la question ne serait-elle pas
plutôt d’avoir une opinion explicite sur la valeur de ces programmes. Si
ces programmes sont mauvais on les
garderait parce qu’ils sont récents ?
CV –
et que c'est appliqué sur le terrain dans certaines écoles certains
établissement mais pas du tout dans tous ;
MD – Même réponse : si les
programmes sont mauvais, on les garde parce qu’ils ne sont pas appliqués
partout ?
CV –
et la seconde raison c'est que en France on a tendance à accorder beaucoup trop
d'importance aux programmes par rapport à tout le reste ;
MD –
Affirmation sans aucun début de preuve. Y-a-t-il une seule étude ou un seul
article un peu sérieux qui montre que « en France, on a tendance à accorder beaucoup trop d'importance aux
programmes » ?
Ce qui signifie, rappelons-le,
répondre à la double question
- En général, les programmes sont
–ils les éléments déterminants de réussite scolaire ? Le rapport Torossian/Villani ne se prononce pas sur la
question.
- Qu’en est-il du cas particulier de
la France ? Y-a-t-il une exception culturelle comme il y en a une pour son
absence de critique sur les tests internationaux ? Si on donne en France
trop d’importance aux programmes, ce qu’affirme Cédric Villani, est-ce une
attitude permanente ? Sinon pendant quelle période et depuis quand a-t-on surestimé l’importance
des programmes ?
CV – on voulait
précisément insister sur tout le reste.
MD –
C’est bien ce qui a été fait dans les 21 mesures.
CV – Tout le
reste c'est quoi ? Le nombre d'heures, les volumes horaires, d'enseignement, de formation, de tout ce que vous voulez,
l'organisation, les processus d'évaluation, les processus d'interaction, tout
cela.
MD –
et bien d’autres choses encore … puisque c’est « tout le reste ». Et
« tout le reste » peut aussi
comprendre la confiance, les méthodes pédagogiques, l’efficacité, l’hypothèse
de l’effet cumulatif, le caractère ludique des mathématiques, le rôle de
l’erreur, l’importance du calcul mental… Et nous sommes bien en quelque sorte
d’accord : l’explication de l’état de l’enseignement par « l’effet
cumulatif » est bien antagonique avec celle qui met en cause de graves
erreurs sur le contenu disciplinaire. On comprend qu’il en soit ainsi
puisque le responsable des erreurs du type « effet cumulatif » ne
peut être le conseiller pédagogique ou l’inspecteur qui par principe ne peuvent
commettre ce type d’erreur parce que, justement, ils ne font pas cours. Si l’on
met en avant l’effet cumulatif, on est donc sûr que l’on protège la hiérarchie
pédagogique et administrative et le responsable est donc, comme d’habitude, le
lampiste à qui l’on pourra toujours reprocher s’il n’arrive pas à suivre des
progressions qui ne peuvent pas marcher, … qu’il tient mal son cahier de texte.
CV – Et ça
compte au moins autant sinon davantage
que les programmes.
MD – Cette position – outre le fait qu’elle est
avancée ici comme un dogme – n’est pas
très nouvelle et date de bien avant 2004.Mais on peut constater que déjà le
texte SLECC de 2004 cite deux des grands responsables des positions
obscurantistes sur l’enseignement et en particulier de l’écriture des
programmes de 2002, je veux dire
Philippe Joutard et Claude Thélot. Dans leur livre « Réussir l’école, Pour
une politique éducative » [Note 4]
qui a inspiré l’écriture des programmes de 2002, ils passent leur temps
à dénigrer l’importance des programmes … tout en défendant becs et ongles ceux
qu’ils ont écrit [Note 5]. Citation de nos duettistes :
« Il y a déjà eu trop de
programmes parfaits qui ont simplement oublié leurs conditions concrètes
d'application [Note 6]».
Pour l’anecdote on avait alors
demandé aux auteurs de cette profonde pensée s’ils étaient capables d’exhiber
non pas « une collection de programmes parfaits », mais simplement de
citer un seul programme de mathématiques du primaire qui ait été simplement
correct écrit pendant la trentaine d’années précédentes. Il
n’y a pas eu de réponse.
E : Conclusion
partielle
Maintenant, tout est
clair, plus d’ambigüité. On a eu une période – assez brève : de février
2018 à mars 2019 – pendant laquelle la commission Torossian/Villani, tout en déformant les
positions du TIMSS, gardait un flou artistique sur la question de l’importance
des programmes sans jamais dire explicitement que le rôle des programmes est
secondaire dans la qualité instructive de l’école. Puis précisément à partir de
la vidéo sur « les malentendus », Torossian/Villani reprennent l’argumentation aussi classique que
néfaste minimisant le rôle de la définition des contenus disciplinaires dans la
dégradation scolaire.
Globalement la position prise
par la commission de Torossian/Villani sur cette question centrale n’est pas très
nouvelle puisqu’elle fait partie de la colonne vertébrale de toutes les
orientations qui ont contribué depuis au moins 40 ans à dégrader la qualité de
l’enseignement. La question, heureusement secondaire, qui reste à trancher est
de savoir si CT/TV ont pris la position qu’ils ont prise
1) parce qu’ils partagent
dans une mesure certaine les idées propagées par ceux qui ont le plus agi dans
le sens de la dégradation de l’enseignement
2) ou parce qu’ils
ont capitulé face à ce courant même s’ils n’en partageaient pas les idées.
La bonne réponse me
semble être : parce que qu’ils partageaient en (grande, très grande)
partie ces idées néfastes, ce qui a tout à fait facilité leur incapacité à les
combattre.
– Notes de la partie
II –
Note 2: Effet
cumulatif : le début. On y reviendra d’un autre point de vue mais d’un point de vue strictement managérial, on peut d’ores et déjà dire que « l’hypothèse de l’effet cumulatif » mis en avant par Charles Torossian est un recyclage boiteux d’une partie de l’argumentation d’évitement pratiquée par les IPR, IDEN
et divers formateurs dès les années 1980 lorsque l’on commençait à évoquer
leurs responsabilités dans l’élaboration et la mise en place de contenus
pédagogiques fortement toxiques. Lorsque l’on faisait remarquer à ces autorités
pédagogiques qu’il ne fallait pas s’étonner des performances médiocres des
élèves en calcul au vu de ce qu’ils avaient fait en primaire et qui était entièrement
conforme aux recommandations officielles des programmes défendus par eux, ils
orientaient rapidement – et le plus souvent fermement - la conversation vers
tout ce qui évitait ces questions pour la déplacer vers la tenue du cahier de
texte, les pertes de temps à l’interclasse, le mode de correction des copies,
la nécessité du caractère ludique des mathématiques, le travail en groupe…
Note 3: https://www.education.gouv.fr/cid126423/21-mesures-pour-l-enseignement-des-mathematiques.html
Note 4: Philippe Joutard, Claude Thélot, Réussir l'école, Pour une politique
éducative, Le Seuil, 1999, 292 p.
Note 5: Pour s’en
convaincre, lire le chapitre « Négation
de l’importance des programmes disciplinaires » aux pages 4 et 5 de SLECC
2004, http://michel.delord.free.fr/slecc.pdf
Note 6: P. Joutard et C. Thélot, op. cit., page 177
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